Un Ordre pour les infirmiers, pourquoi ?

 

La profession infirmière a été la dernière en date à se doter d'un ordre professsionnel en France.

Pourquoi ?

La première question est celle de savoir pourquoi crée-t-on des institutions ordinales.

A cette question, le fascicule à télécharger ici apporte nombre de réponses précises. 

Pourquoi un ordre pour les infirmiers ?

Les infirmiers sont des professionnels qui remplissent une mission sociale d’intérêt général, dans un secteur où le marché ne peut intervenir seul et où l’exigence d’éthique s’impose. En proposant des soins, ils contribuent de manière significative à l’économie nationale et sont en contact direct avec le patient dans une relation asymétrique qui exige la confiance. Il est du devoir du professionnel d’honorer cette confiance et il revient à l’institution ordinale de garantir à la collectivité les moyens de sauvegarder cette confiance.

Pour cela une institution ordinale est une instance de régulation par délégation de l’Etat : elle contrôle l’accès et les conditions d’exercice dans un secteur, les soins infirmiers, de grande technicité et au cœur des relations humaines. C’est une mission de service public de régulation visant à maintenir les équilibres entre les principes inaliénables que sont les droits fondamentaux des personnes, la liberté de choix de son praticien par le patient par exemple ou la protection de la vie privée, l’intérêt général ou encore les règles de la concurrence.

Ce rôle de régulation de l’ordre est particulièrement marqué en ce qui concerne le secteur libéral. Environ 80000 infirmiers exercent en libéral en France. Ils bénéficient du principe de liberté d’installation prévu par l’article L.162-2 du Code de la sécurité sociale.  Parce que dans ce secteur, le marché ne peut à lui seul, spontanément, assurer la parfaite régulation de l’offre et de la demande dans l’intérêt des bénéficiaires que sont les patients, l’Ordre des infirmiers joue un rôle de régulation important en organisant la concurrence et veillant au respect de la loyauté de celle-ci. Pour ce faire, l’ordre a élaboré des modèles de contrats d’exercice qui respectent l’indépendance professionnelle et les règles professionnelles, et qui régissent la non-concurrence après la fin du contrat. Il intervient ensuite comme arbitre (conciliation) voire juge (discipline), et ce de manière quotidienne, dans les litiges entre infirmiers libéraux sur toute question de concurrence : tentatives de détournement de clientèle, publicité, dénigrement, régularité du lieu d’installation, exercice multiple illicite. Sans l’ordre, ces litiges n’auraient qu’une seule voie de règlement, la voie judiciaire des tribunaux de droit commun, longue, coûteuse, non spécialisée et mal adaptée quant il s’agit de juger la déontologie.

La régulation exercée par l’ordre ne concerne pas que le monde libéral, au contraire. Contrôle de l’accès à la profession, protection du patient et respect des règles déontologiques, police des conflits d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique, sauvegarde de l’indépendance professionnelle, préservation du secret professionnel sont autant de missions régaliennes qui concernent aussi les infirmiers salariés voire surtout les infirmiers salariés.

Cette mission entraine pour l’ordre une responsabilité : celle d’agir dans le strict cadre légal et réglementaire et rendre un service de qualité aux professionnels et aux patients.

Une délégation de service public

L’ordre des infirmiers bénéficie comme tous les ordres d’une délégation de service public de l’Etat. L’Etat en effet ne peut intervenir dans tous les domaines de l’économie et de la société. En matière de santé comme dans nombre de domaines, on constate depuis quelques décennies un accroissement de la technicité que ce soit dans les modes de financement, la gestion des ressources humaines, les droits des patients, la responsabilité des professionnels et des établissements. L’Etat a donc progressivement délégué certaines missions au fur et à mesure que les besoins de régulation surgissaient. La création de nombreuses agences dans le domaine de la santé en est l’illustration.

Certes, les ordres médicaux ont été créés depuis plusieurs décennies à une époque où ces besoins de régulation technique n’étaient pas aussi prégnants mais ils se sont vus confier depuis lors de nombreuses missions supplémentaires : RPPS, contrôle du développement professionnel continu et de l’insuffisance professionnelle, contrôle des conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, reconnaissance des qualifications professionnelles des ressortissants européens, etc. Les missions des ordres se sont considérablement accrues.

La déontologie, son contrôle, les sanctions aux manquements

Le besoin de déontologie est croissant dans le domaine de la santé. Les scandales sanitaires sont souvent liés à une carence dans le respect de la déontologie par des professionnels. Les patients et usagers, dont le poids politique va croissant dans le système de santé, exigent ce respect qu’il s’agisse par exemple du secret professionnel, de l’interdiction du refus de soins pour des motifs discriminatoires, des soins attentifs et consciencieux.

La profession d’infirmier est, elle aussi, soumise à cette exigence avec une acuité particulière. Les infirmières exercent en une grande variété de lieux, sous une grande variété de statuts : dans les établissements sanitaires, sociaux, médico-sociaux, au domicile du patient, en établissement scolaire, en entreprise ou service de santé au travail, dans les PMI des conseils généraux, les crèches, les centres de planification familiale. Partout les mêmes exigences de déontologie infirmière s’imposent.

Ce sont donc les mêmes règles professionnelles qui s’appliquent à l’infirmière où qu’elle exerce : indépendance professionnelle, secret professionnel, confraternité, hygiène, assistance à autrui, etc.

Le contrôle de la déontologie est une mission régalienne et monopolistique de l’ordre des infirmiers. Seul l’ordre est habilité à les mettre en œuvre dans un cadre légal et réglementaire fixé qui garantisse les droits de la défense, le respect des procédures et l’Etat.

Un corps intermédiaire utile pour participer à la gestion du système de santé

La loi a conféré à l’ordre des infirmiers de nombreuses missions de corps intermédiaire relais des pouvoirs publics. Ces missions sont utiles car l’ordre s’adresse à tous les membres d’une profession contrairement aux syndicats qui ne s’adressent logiquement qu’à leurs adhérents. Il apporte au ministère chargé de la santé ainsi qu’aux institutions agissant dans ce domaine une expertise, un conseil, une aide à l’information des professionnels.

Ainsi, la loi (article L.4312-2 du code de la santé publique) a confié à l’ordre des infirmiers les missions suivantes : « Il étudie les questions ou projets qui lui sont soumis par le ministre chargé de la santé, concernant l'exercice de la profession. Pour ce faire, il peut consulter les associations professionnelles, les syndicats, les associations d'étudiants en soins infirmiers et toute association agréée d'usagers du système de santé. En coordination avec la Haute autorité de santé, il participe à la diffusion des règles de bonnes pratiques en soins infirmiers auprès des professionnels et organise l'évaluation de ces pratiques. »

Ce rôle de relais pour l’information des membres d’une profession est jugé très utile par les pouvoirs publics notamment dans un intérêt de santé publique. Ainsi, lors de la crise de la pilule de 3ème génération durant les fêtes de fin d’année 2012, l’ordre a immédiatement relayé aux infirmiers de toute la France le message de prudence de l’ANSM. Autre exemple récent, l’ordre a diffusé à tous les infirmiers inscrits au tableau le guide sur les risques d’emprise des sectes dans le secteur de la santé édité par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Autre exemple, en 2014, l'Ordre a diffusé les recommandations sur le virus Ebola à plus de 120 000 infirmiers de tous modes d'exercice.

Compte tenu de l’exigence de réactivité et d’alerte particulière dans le secteur sanitaire, le rôle d’intermédiaires pour l’information des professionnels se révèle précieux pour l’Etat.

Les autres pays européens

En matière de régulation de la profession d’infirmière, deux modèles existent en Europe : soit une régulation par la profession elle-même au sein d’ « ordres » ou de « conseil », soit une régulation par l’Etat ou les collectivités publiques.  

 

Cette carte montre que les pays les plus peuplés, où la profession infirmière est nombreuse, ont tous opté pour une autorégulation par la profession, à l’exception toutefois de l’Allemagne qui présente une situation particulière tant en terme d’organisation de l’Etat (rôle des Länder) que place de la profession infirmière dans le système de soins où son rôle est en fait celui de l’aide-soignante en France.

Le modèle dominant en Europe est donc le modèle ordinal, la profession d’infirmière nombreuse et autonome ayant incité les Etats à déléguer à des organismes externes, les missions de service public de régulation et de gestion.

Quels services rendus à la population par le conseil de l’ordre des infirmiers ?

L’inscription au tableau

S'agissant d'une profession réglementée, son accès n’est pas libre. Il répond à des critères strictement fixés par le législateur. Jusqu’à la création de l’ordre des infirmiers le seul critère d’accès était celui de la compétence attestée par la détention du diplôme. La personne qui en était détentrice avait seulement pour obligation de l’enregistrer auprès du service de l’Etat compétent, en l’espèce le service ADELI des DDASS.

Le législateur a ajouté dans la loi du 21 décembre 2006 une deuxième obligation d’accès à la profession en inscrivant à l’article L.4311-15 du Code de la santé publique que nul ne peut exercer la profession d’infirmier s’il n’a fait procéder à l’enregistrement de son diplôme auprès du service compétent et s’il n’est inscrit au tableau de l’ordre des infirmiers.

Cette inscription repose sur des critères précis fixés par la loi : outre la compétence (vérification des titres), la moralité (au regard notamment des éventuelles condamnations pénales antérieures), l’indépendance professionnelle (au regard des clauses contractuelles éventuellement souscrites), de la maitrise de la langue et du système des poids et mesures, de l’absence d’état pathologique rendant dangereux l’exercice.

La vérification du respect de ces critères nécessite un travail d’instruction qui constitue une tâche parmi les plus importantes des conseils de l’ordre. Chaque année les conseils départementaux et interdépartementaux inscrivent près de 20000 personnes.

Reposant sur une procédure exigeante, l’inscription au tableau est nécessaire en premier lieu pour apporter aux patients la garantie qu’ils peuvent accorder leur confiance aux personnes qui les soignent. Depuis sa création, l’ordre a dû refuser une vingtaine d’inscriptions de personnes physiques ou morales : refus fondés sur les critères légaux et concernant essentiellement des personnes qui exerçaient déjà la profession.

Le réglement des litiges

Cette mission est un véritable service très reconnu et demandé par les infirmiers qui bénéficient d'un arbitrage de l’ordre afin de tenter de régler à l’amiable leurs différends entre eux ou avec des patients. Les motifs de saisine de l’ordre sont nombreux mais portent principalement sur le détournement de clientèle et la concurrence déloyale, la publicité, la rupture abusive de contrats, le manque d’hygiène, le défaut de confraternité (calomnie, dénigrement).

Les patients sollicitent les conseils de l’ordre pour régler des différends avec des infirmiers pour des motifs divers (refus ou interruption de soins, défaut de qualité des soins, comportements agressifs, etc.).

Si les litiges entre infirmiers naissent essentiellement dans le cadre de l’exercice libéral, ce qui se comprend compte tenu de la situation de concurrence dans laquelle sont placés les professionnels, les plaintes des patients concernent autant les infirmiers exerçant à titre libéral que les infirmiers salariés (notamment en établissements sociaux et médico-sociaux, en intérim, en centre de santé mais moins souvent en établissement de santé où l’administration de l’établissement s’interpose dans la relation patient-soignant).

Le caractère entièrement gratuit, l’absence d’obligation du ministère d’avocat, la confiance accordée en un arbitre professionnel, la proximité géographique font indéniablement le succès de ce service rendu par les conseils départementaux de l’ordre. Environ 50% des différends trouvent une solution amiable par cette voie.

La discipline

La procédure disciplinaire au sein d’un ordre est strictement encadrée par la loi. Les dispositions relatives à la procédure disciplinaire au sein de l’ordre des infirmiers sont identiques à celles des ordres médicaux. Elle trouve également ses sources dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme notamment l’article 6-1 relatif au droit à un procès équitable. De là découlent nombres de garanties d’impartialité procurées aux parties dans le cadre de la procédure ordinale : présidence assurée par un magistrat de l’ordre administratif (un conseiller d’Etat au niveau national), cassation du Conseil d’Etat, droit de récusation d’un membre de la chambre, dépaysement, impossibilité de siéger d’un membre ayant participé à une plainte ou à son instruction en amont, etc.

Depuis le 1er janvier 2015, les chambres disciplinaires disposent d'une section des assurances sociales qui jugent des fautes, abus et fraudes de sécurité sociale et peut sanctionner les infirmiers pour ces faits.

Les règles d’installation et d’exercice des professionnels libéraux

Les infirmiers exerçant selon le mode libéral sont près de 80000 inscrits au tableau de l'Ordre. Ce chiffre en fait l’une des plus importantes professions libérales en France par le nombre. Ce fait justifie à lui seul l’existence d’une autorité régulatrice de la concurrence au sein de l’exercice libéral infirmier en France.

La loi confère à l’ordre un rôle important auprès des professionnels libéraux en termes d’installation, de contrats d’exercice, de cession de clientèle, de difficultés des entreprises, etc.

En matière d’installation, la régulation ordinale s’illustre notamment dans le fait que, par délégation de l’Etat, l’ordre autorise la création d’un cabinet secondaire ou autorise un professionnel à effectuer des remplacements. Ces compétences sont attribuées par les codes de déontologie qui sont publiés par décret en Conseil d’Etat. Le futur code de déontologie de l'Ordre transférera ces compétences d’autorisation d’installation depuis les agences régionales de santé (ARS) vers les conseils de l’ordre. Ce transfert de compétence est très attendu par les ARS, échelon déconcentré de l’Etat. Le conseil de l’ordre deviendra le « guichet unique » pour les libéraux dès lors qu’il inscrit leurs sociétés d’exercice, valide leurs contrats et leurs cessions de clientèle et qu’il contrôle le respect des règles professionnelles.

La reconnaissance des qualifications professionnelles des porteurs de titres européens d'infirmier en soins généraux

La profession d’infirmier fait partie des sept professions réglementées en Europe qui bénéficient d’une reconnaissance automatique des qualifications professionnelles prévue par la directive n°2005/36 en cours de révision actuellement au Parlement européen et au Conseil.

L’ordre national des infirmiers est l’autorité compétente en matière de reconnaissance automatique depuis une ordonnance du 30 mai 2008 modifiée par une ordonnance du 17 décembre 2009. L’Etat ne gère quant à lui que le « système général », c’est-à-dire les cas de titulaires de diplômes non prévus par la directive.

Ainsi, tous les infirmiers ressortissants européens qui souhaitent exercer en France doivent faire valider leurs qualifications par l’ordre en sollicitant leur inscription au tableau. Outre la vérification des titres et diplômes, l’ordre est chargé de la vérification du niveau de langue et de la connaissance du système des poids et mesures.

Pour plusieurs raisons tant structurelles que conjoncturelles, la France connait depuis maintenant deux ans un afflux important d’infirmiers européens, notamment portugais, espagnols et roumains, désireux de faire reconnaitre leur qualification professionnelle pour exercer en France. A cet afflux l’ordre des infirmiers a dû répondre en s’organisant et en optimisant ses procédures de vérification linguistique notamment en recherchant des accords avec les ordres infirmiers de ces pays et des organismes d’enseignement de la langue française.

Les relations des infirmiers avec l’industrie pharmaceutique

Les relations entre les professionnels de la santé et l’industrie pharmaceutique sont régies par les dispositions de la loi n°93-121 du 27 janvier 1993 dite « loi anti-cadeaux » qui, bien que modifiée en 2004, 2007 et dernièrement par la loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé suite au scandale du Mediator®. Prévus à l’origine pour les professions médicales, les textes sont applicables aux infirmiers.

Selon la loi il est interdit aux infirmiers de recevoir des avantages en nature ou en espèce, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Il est pareillement interdit à ces entreprises de proposer ou de procurer ces avantages.

La loi prévoit deux types d’exceptions dont la principale est qu’une convention soit intervenue entre le professionnel de santé et l’entreprise pour les activités de recherches ou d’évaluation scientifique et l’hospitalité offerte lors de manifestations de promotion ou à caractère exclusivement professionnel et scientifique.

L’ordre des infirmiers se voit déléguer une mission de service public de contrôle en la matière puisqu’il doit en effet être destinataire des conventions relatives aux activités de recherches ou d’évaluation scientifique et à l’hospitalité. Si les avantages sont jugés excessifs, l’ordre délivre un avis défavorable.

Cette mission régalienne est très vite montée en charge depuis la création de l’ordre des infirmiers. Les demandes des entreprises représentent un volume considérable puisque chaque année des demandes concernant près de 30000 infirmiers ont été reçues par les conseils de l’ordre. Le fait que les infirmiers disposent depuis 2007 d’un droit de prescription de certains dispositifs médicaux n’est évidemment pas étranger à cet engouement de l’industrie pharmaceutique pour la profession d’infirmier donc à l’accroissement exponentiel de demandes reçus et traitées par l’ordre.

La voix de la profession auprès des pouvoirs publics

Les pouvoirs publics, notamment le ministère de l’économie, le ministère de la santé et les agences sanitaires, le ministère de l'intérieur ou encore celui de la justice, mais également le Parlement, trouvent au travers du conseil de l’ordre des infirmiers un interlocuteur incarnant la profession d’infirmier dans sa très grande diversité. C’est un grand avantage qui est d’ailleurs reconnu par tous depuis la création de l’ordre. Il faut une institution pour dialoguer avec les autres institutions et c'est le rôle majeur que joue l'ordre.

L’ordre n’est certes pas le seul représentant de la profession d’infirmier. Il existe des syndicats et une myriade d’associations mais le caractère universel, au sens où il a vocation à rassembler l’ensemble, sans exception, des personnes exerçant la profession d’infirmier dans le civil, confère à l'Ordreun poids considérable auprès des pouvoirs publics qui ont la garantie d’avoir un interlocuteur fiable et établi parlant au nom de la profession. L'Ordre peut utilement et pertinemment s’exprimer sur des problématiques transversales à tous les modes et lieux d’exercice de la profession d’infirmier.

 

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